Dans cet article, je livre une analyse personnelle de la bataille acharnée qui a récemment opposé les "Gentils Virus", partisans du tirage au sort d'une assemblée constituante et le comité d'initiative du M6R, partisan de son élection et profondément opposé à l'idée du tirage au sort en politique.
Ces joutes verbales m'ont surpris par leur violence (les points GodWin pleuvaient de chaque côté), et par leur contenu : Les Gentils Virus et le FDG partagent pourtant une volonté commune de voir le peuple prendre les rênes du pouvoir ... mais pas de la même manière.
Avec un peu de recul, et à l'issue de débats enrichissants (et donc autour d'une bière plutôt que sur Facebook), il m’apparaît que ce clivage tient surtout en trois points :
- Une conception différente de la politique (partisane et a-partisane)
- Les changements récents de la topologie des mouvements politiques en France, qui divisent et affaiblissent les classes populaires
- Des approches différentes pour combattre les idées populistes haineuses (racistes, homophobes, antisémites, ...).
Sommaire
- Rappel des faits : Le M6R et le tirage au sort
- Étienne Chouard n'est pas un chef de parti, c'est le patient zéro
- La nouvelle topologie du paysage politique Francais
- La division du corps populaire sur les questions sociétales
- Soral ne rassemble personne
- Une démocratie a-partisane pour la victoire des 99
- Combattre les haines populistes en pointant la cause des causes
1) Le M6R et le tirage au sort
Jean Luc Mélenchon a lancé récemment le Mouvement pour une 6ème République (m6r). Il y appelle à l'élection d'une assemblée constituante pour la réécriture de la constitution française.
Les Gentils Virus (dont je fais partie), travaillent depuis 2012 à la réécriture d'une nouvelle constitution. Nous militons pour le tirage au sort d'une assemblée constituante citoyenne et pour l'avènement d'une politique citoyenne et a-partisane.
Nous dénonçons le système électif comme intrinsèquement anti-démocratique, mis en place par les puissances de l'argent pour accaparer le pouvoir politique. Nous organisons partout en France des ateliers constituants, au sein desquels nous étudions la constitution française et réécrivons ses articles. Ces ateliers sont l'occasion de se réapproprier un texte fondamental, fondateur de nos institutions et du contrat social qui nous lie. Ce texte devrait en théorie instaurer la puissance politique du peuple (par des assemblées de citoyens, le référundum d'initative populaire, ...) et organiser des contre-pouvoirs (révocabilité des élus, mandat impératif, non renouvellement des mandats législatifs ...)
C'est donc tout naturellement que nous avons fait pression sur le M6R pour demander le tirage au sort d'une assemblée constituante, plutôt que son élection qui mettrait naturellement des hommes politiques de carrière la tête du processus constituant.
Or, un tel projet ne peut être que citoyen : les politiciens se trouvent mécaniquement en situation de conflit d'intérêt dans l'écriture d'une constitution. Il est certain qu'ils n'y inscriraient pas les contre-pouvoirs nécessaires à l'avènement d'une vraie démocratie.
En réaction, le comité d'initiative du M6R, et quelques militants du FDG, se fendent de quelques tribunes publiques, sur leurs blogs personnels, pour attaquer, d'abord sur le fond, l'idée du sort tirage au sort :
Rapidement, le débat d'idées vire aux attaques ad-hominem et aux procès d'intention. C'est d'abord Étienne Chouard, initiateur du mouvement des Gentils Virus, qui en fait les frais : Accusé de complaisance envers Alain Soral.
Puis c'est l'ensemble du mouvement des Gentils Virus qui se voit étiqueté "extrême droite", (par transitivité du fascisme ?), et interdit de m6r par Pascale Fautrier.
Judith Bernard, journaliste signataire du M6R et partisane du tirage au sort, est directement visée par cette chasse aux sort-cières. S'en suit une joute musclée par blogs interposés :
- Les militants du sort portent un projet radicalement antifasciste [Judith Bernard]
- La gauche et la mouvance rouge brune ma réponse à Judith Bernard réiterant son soutien politique a Etienne Chouard [Pascale Fautrier]
- Serais-je cette sorcière [Judith Bernard]
Sur Facebook, les échanges sont proprement délirants. Dans les groupes du M6R et des Gentils Virus, on s'accuse mutuellement de fascisme.
2) Étienne Chouard n'est pas un chef de parti, c'est le patient zéro
Il convient d'abord de revenir sur l'attaque faite à Etienne Chouard sur ses complaisances à l'égard de Alain Soral : C'est une critique qui lui a déjà été faite à maintes reprises (par ses adversaires autant que ses amis). Il s'en est expliqué plusieurs fois, et a récemment fait une mise au point, sous forme de mea-culpa, ici et là.
Le but ici n'est pas de refaire ce procès, mais d'en limiter la portée.
Les Gentils Virus ne sont pas un parti politique : C'est un mouvement sans hiérarchie, sans chef, qui rassemble toutes les personnes souhaitant l'avènement d'une vraie démocratie, dans laquelle le peuple serait au centre du pouvoir et la recherche du bien commun au centre la politique.
Étienne Chouard en est l'initiateur : Il a appelé à une viralisation par le bas (sans attendre le relais des médias) de l'idée d'une vraie démocratie, de la critique des élections, de l'utilisation du tirage au sort au cœur de la politique.
C'est le patient zéro d'une épidémie de démocratie.
Depuis, les Gentils Virus se viralisent seuls, se réapproprient et se passent un message simple et puissant à la fois. Etienne Chouard continue son travail seul : il ne donne aucune directive au mouvement, n'en contrôle rien.
Pourtant, la notoriété toute relative dont il bénéficie dans les médias en fait un porte-parole de-facto. Son récent passage à "Ce soir ou jamais", relayé par le Zapping, a fait le buzz et permis à beaucoup de découvrir le mouvement des Gentils Virus, et la possibilité de faire de la politique autrement.
Les Gentils Virus aspirent à une politique sans parti et sans figure politique : Une politique de débats d'idées, loin des guerres d'ego et du théâtre grotesque et désespérant qui nous est servi quotidiennement. Dans cette logique, le mouvement refuse la désignation d'un chef ou d'une quelconque organisation formelle. Dans ces conditions, les actes et les positions d'Etienne Chouard n'engagent que lui, de même que les actions et les idées de chaque virus n'engagent que celui-ci : Ses membres ne sont liés que par une volonté commune d'un mode de gouvernance démocratique.
Attaquer Etienne Chouard (légitimement ou non) pour atteindre le mouvement dans son ensemble n'a pas de sens.
3) Nouvelle topologie du paysage politique Francais
Ce que je retiens surtout de la défense d'Etienne Chouard, dans cette vidéo, c'est le sens qu'il donne au terme fascisme, comme exercice d'un pouvoir totalitaire et implacable, le distingant des idées de haine populistes : racisme, homophobie et antisémitisme.
Ce point-là me paraît tout à fait pertinent et constitue à mon sens le point central de discorde avec le FDG.
La volonté de distinguer les définitions de "extrême-droite", "fascime", "racisme", peut paraître comme une tentative de dédiabolisation du FN. Je ne le pense pas : Elle découle plutôt d'une compréhension du nouvel échiquier politique français, indispensable à mon sens pour dénoncer à la fois les extrêmes populistes et les extrêmes économiques.
La topologie du paysage politique français a changé du tout au tout ces dernières années : Une cartographie linéaire (gauche-droite) des mouvements politiques n'est plus pertinente.
En reprenant l'idée des Diagrammes de Nolan pour classer les mouvement politiques, on peut distinguer deux axes principaux :
- Un axe économique, opposant à "gauche" une vision sociale de l'économie à une position de "droite" ancrée dans les logiques néo-libérales
- Un axe sociétal, opposant les progressistes de gauche aux conservateurs de droite sur toutes les questions de mœurs, d’immigration, d'éducation, ...
Juqu'à récemment, les partis politiques français pouvaient être classés de gauche à droite : Les deux axes politiques se confondaient parfaitement : Le FN prônait alors une politique libérale, une baisse de l'ISF, la réduction des cotisations sociales.
En arrivant à la tête du FN, Marine le Pen a initié un revirement radical de cette idéologie : Tout en restant fidèle à la tradition ultra-conservateur du parti (immigration, nationalisme, racisme, ...), elle s'est tournée vers les classes populaires, copiant les discours et le champ lexical de la gauche :
- Discours Anti-européen
- Dénonciation des dérives de la finance
- Anti-capitalisme
Notons que, contrairement aux partis de gauche radicale, ce discours, parfaitement opportuniste, ne se traduit pas dans les faits par des politiques municipales sociales : Il participe d'un double discours tout à fait populiste.
Pourtant, cette stratégie politique fonctionne : Une grande partie des électeurs ayant grossi les rangs du FN partagent certainement la nouvelle ligne économique sociale affichée par le FN.
La gauche radicale s'est trouvée prise au piège de ce virage à 180°. Elle se trouvait à la fois privée de ses mots, assénés plus clairement par son ennemi historique, et empêtrée dans une guerre anti-FN stérile. L'échec cuisant du FDG aux européennes 2014 en est la conséquence directe.
Pendant ce temps, l'UMP "décomplexée" a durci sa politique économique et son conservatisme, occupant peu à peu l'espace laissé par le FN.
Enfin, depuis l'arrivée de François Hollande au pouvoir, le PS a marqué son adhésion à la politique social-démocrate, caractérisée par une politique économique néo-libérale strictement indicernable de celle de l'UMP, tout en conservant des positions sociétales plus progressistes (Mariage pour tous).
4) La division du corps populaire sur les questions sociétales
Dans ce contexte, parler de droite ou de gauche n'a plus vraiment de sens. Parler d'extrême-droite non plus. Le FN est encore extrême-droite au sens des valeurs réactionnaires et d'une idéologie xénophobe. Sur l'axe économique, ce sont bien l'UMP et le PS qui occupent le front le plus libéral.
Les classes populaires, souffrant le plus de la mondialisation, des politiques libérales et du libre échange, se trouvent ainsi scindées en deux groupes ennemis, impossibles à rassembler.
Pendant ce temps, le bi-partisme d'apparat se partage le pouvoir par alternance, appliquant de manière implacable des politiques libérales qui appauvrissent les populations et gavent les plus riches.
5) Soral ne rassemble personne
Alain Soral, avec son mouvement "Egalité et Réconciliation", affirme vouloir rassembler les corps populaires d'extrème droite et d'extrème gauche.
Mais son discours, ultra conservateur et haineux à de nombreux égards, attaque frontalement les questions sociétales et ne peut séduire aucun électeur attaché aux valeurs humanistes de gauche.
Soral ne croit pas non plus à la possibilité d'une révolution citoyenne ou l'avènement d'une vraie démocratie : Il lui préfère une forme de dictature "éclairée" et aspire à une autocratie soralienne.
6) Une démocratie a-partisane pour la victoire des 99%
Le mouvement des Gentils Virus se place au dessus de ces combats de clans.
Il n'est pas question ici d'oublier le fossé de valeurs qui sépare l'humanisme de la gauche radicale au populisme du FN, ni de minimiser le danger des discours de haine. Il s'agit simplement d'observer que les partis politiques, en enfermant les individus dans des étiquettes prêt-à-penser, les condamnent à s'opposer à jamais sur l'axe sociétal, et à ignorer les intérêts communs qui existent sur d'autres axes.
Ce constat est encore plus criant pour l'écologie. Les questions d'écologie, intrinsèquement universelles, devraient traverser l'échiquier politique. La majorité des Français se déclare soucieux de ces questions et souhaiterait une politique écologique forte. Dans les faits, les écologistes, réduits à un vulgaire parti politique, ne parviennent pas à former une majorité forte. Au final, l'absence totale de politique / vision écologique des autres partis, tranche avec la position des français : C'est le symptôme évident d'une politique des partis brisant le consensus populaire et marquant davantage l'impuissance politique du peuple.
Dans une vraie démocratie, le peuple, s'exprimant sur chaque question (par référundums, démocratie directe ou assemblées de citoyens tirés au sort), ferait mieux émerger les consensus sur les axes où ils sont effectifs (économie sociale, écologie, ...) et continuerait de s'opposer et de débattre sur les questions sociétales.
L'existence des partis politiques n'est nécessaire que dans un système électoral : Aucun homme politique ne peut gagner d'élection nationale s'il ne rejoint une famille politique.
Les partis politiques sont l'objet d'un conflit d'intéret permanent : Ils accaparent pleinement l'espace médiatique dans un simulacre de débat d'idées, qui sert en priorité des tactiques politiciennes et électoralistes.
Dans un système plus démocratique (ayant remplacé ou complété l'élection par d'autres modes de sélection des gouvernants), les partis politiques se scinderaient naturellement en petits groupes d'influence et de réflexion, impliqués dans le débat idées et militant pour faire pencher l'opinion publique sur des questions précises : Laicité, immigration, fiscalité, nucléaire, ...
Le projet des Gentils Virus est donc une reconnaissance de la compétence politique de chacun : C'est ouvrir la possibilité de penser et de débattre chaque question de manière indépendante, sans étiquetage politicien stérile qui appelle avec lui un héritage idéologique radical et clivant, indépassable dans un débat.
C'est considérer le citoyen comme un adulte politique, souverain de sa propre pensée.
En séparant les axes de clivage orthogonaux et en instaurant une réelle représentativité du peuple (directe ou statistique), une vraie démocratie permettrait surtout au bien commun (les 99%) de l'emporter enfin sur les pouvoirs de l'argent.
7) Combattre les haines populistes en pointant la cause des causes
Pour conclure sur le sujet initial, la chasse aux sorcières initiée par le comié du M6R, je tente une analyse de l'attaque envers Étienne Chouard et Judith Bernard.
La critique du tirage au sort a certainement largement à voir avec un corporatisme politicien classique, tant cette idée questionne la pertinence même d'un métier politique, et boulerverse ainsi les carriérismes politiciens (fussent-t'ils de gauche radicale).
Cette explication vaut en partie pour les caporals du FDG, mais pas pour les simples militants. Pourtant, ils étaient nombreux sur les réseaux sociaux à contribuer à cette police de la pensée et à étiqueter les partisans d'une idée initiée par un homme qui tarde à condamner Alain Soral.
Cet étiquetage transitif découle de la tradition du "cordon sanitaire" : Selon ce principe, les idées fascites et populistes sont contagieuses. Il convient donc d'en protéger les militants de gauche, dénués de sens critique propre, en catégorisant pour eux chaque mouvement de pensée comme étant fasciste ou humaniste.
Cette précaution est un réflexe de politique partisane, qui nie la capacité d'analyse de chacun, renforce les mouvements populistes dans leur sentiment de persécution, et empêche d'envisager une démocratie ou chaque citoyen a droit de parole.
Dans une démocratie adulte, la liberté d'expression est centrale: Chaque voix, même la plus radicale, la plus raciste ou la plus haineuse, a sa place dans le débat. Ne serait-ce parce qu'elle exprime une souffrance par la haine.
Je suis convaincu qu'on ne combat pas ces idées en les niant ou en les étouffant. Le racisme n'est pas une tare génétique ni une caractéristique immuable. C'est un ensemble d'actes ou de pensées, conséquents d'une peur irrationelle ou d'une injustice vécue à tord comme le privilège de "l'autre".
« Les racistes sont des gens qui se trompent de colère. » Léopold Sédar Senghor
Dans le travail d'Etienne Chouard, il y a un outil fondamental pour combattre ces idées : La recherche de la cause des causes. En se livrant à cette analyse, on finit mécaniquement par dénoncer un système plutôt que des hommes. On ne déteste plus l'ultra riche, mais le système qui lui permet de manipuler les pouvoirs et d'exploiter davantage. On ne condamne plus le polonais qui nous vole notre travail, mais une construction européene qui permet la libre circulation de la misère, sans exiger un salaire minimum ou des institutions sociales à tous ses états membres.
Il est donc du devoir des humanistes d'aller à la rencontre des soraliens et des frontistes, d'entendre leur colère et de leur expliquer en quoi ils se trompent d'ennemi. Ces valeurs sont plus contagieuses que les haines populistes. Le seul risque que les militants de gauche encourent à couper le cordon sanitaire, c'est de voir leurs idées se répandre.
C'est aussi un travail long et fastidieux : Les idées populistes sont efficaces justement parce qu'elles sont simplistes : Il est plus facile de cracher sur le voisin que d'envisager le chantier de la transformation de nos institutions.
Les haines sont enfin intellectuellement plus confortables. Désigner l'autre permet de se dégager de la responsabilité du problème. A contrario, en envisageant la cause des causes, on mesure notre responsabilité commune dans le gouffre des inégalités : notre paresse nous pousse à déléguer la chose politique à des repésentants qui la morcellent pour leurs propres intérêts.
PS: Merci à Tristouille, le pote qui m'a poussé dans mes retranchements et au cerveau collectif des GVs pour les corrections, et en particuliers aux neurones Quintus de Vivraie et Julia de la Vega