Il n'aura pas fallu attendre longtemps après la tuerie de Charlie Hebdo pour voir nos élites rappliquer et proposer un Patriot Act à la Française, sans rougir.

Passé les quelques jours de deuil et les larmes de crocodile, nos dirigeants saisissent cette chance inespérée pour un gouvernement la dérive de faire oublier à la population l'échec cuisant de leur politique et de galvaniser les foules autour d'un ennemi commun : le "Terrorisme".

Sommaire

La stratégie du choc

Rien de tel qu'un drame national pour parler à notre cerveau reptilien, par peurs et émotions, et appeler à une "union nationale", dans un grand élan de patriotisme.

Les politiques sécuritaires et guerrières sont une véritable aubaine pour le pouvoir en place. Elles permettent tout azimut :

  • De faire plaisir aux groupes industriels, fabriquants d'armes, qui détiennent une bonne partie de la presse. Comme Lagardère (Le Monde, Hachette, Nouvel Obs, Paris Match), Dassault (Le Figaro, Var Matin, La Provence, ...), et entretenir ainsi de bonnes relations avec le pouvoir médiatique, principal façoneur d'opinion publique.
  • D'en profiter pour imposer des réformes politiques impopulaires : l'union nationale impose une discipline implicite qu'il n'est même pas nécessaire de verbaliser : En période de "guerre", les résistances spontanées se font plus rares et sont plus faciles à dissoudre : Le peuple a tendance à faire corps derrière l'état.
  • De gagner quelques point dans les sondages De faire un bond délirant dans les sondages, une aide précieuse quand on crève le plancher de la popularité.
  • De lancer des guerres injustifiées et injustifiables, pour défendre des marchés et des intérêts économiques, sous couvert de guerre contre le terrorisme, voire d'expansion de la "démocratie" et le l'humanisme; et ainsi alimenter de nouveaux foyers de terrorisme.

Toutes ces ficelles sont grosses mais efficaces. Elles ont été analysées à maintes reprises. Citons par exemple :

Rappelons-nous le mensonge d'état des "armes de destruction massives", invoqué par le gouvernement américain après le 11 septembre pour justifier une guerre illégitime en Irak. Ces mensonges nous paraissent grossiers maintenant, voire ridicules vus de ce coté-ci de l'Atlantique.

Sécurité contre libertés

C'est pourtant des couleuvres de même gabarit qu'on tente de nous faire avaler en ce moment même : Les coupables des récents attentats étaient déjà connus des services de sécurité. En aucun cas les services d'ordre n'ont souffert ici d'un déficit d'information ou de possibilité "d'écoute". Le gouvernement dégaine pourtant un arsenal de lois, préparées de longues dates, permettant une censure accrue d'Internet, sans passer par la case justice.
Ces mesures sont tout à fait inutiles pour combattre le terrorisme, mais ô combien précieuses pour faire fermer de manière arbitraires et sans préavis les sites les plus gênants; les dissidences les plus virulentes. Elles s'ajoutent d'ailleurs à un arsenal de 15 autres lois adoptés depuis 30 ans, et dont les décrets d'applications ne sont pas tous encore publiés.

La ligue des droits de l'homme ne s'y trompe pas :

C’est un mensonge de prétendre que les dramatiques événements que nous venons de vivre seraient la conséquence d’une insuffisance législative. [...] La LDH appelle les citoyens à ne pas se laisser enfermer dans le cercle de la peur. Elle les invite à rappeler aux pouvoirs publics, à la représentation politique française qu’à chaque fois que nous avons concédé de nos libertés, il s’en est suivi moins de démocratie, sans pour autant nous assurer plus de sécurité."

Je vous conseille aussi la lecture de Korben à ce sujet : Terrorisme – C’est encore la faute d’Internet ?

Je vous recommande également chaudement l'intervention de Jérémie Zimmerman (Quadrature du Net) au sénat

Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité
ne mérite ni l'une ni l'autre, et finit par perdre les deux." Benjamin
Benjamin Franklin

Comment ne pas s'inquiéter aussi de cette hystérie collective anti-terroriste et des comparutions immédiates des non-Charlie et autres non-silencieux :

Les terroristes auraient ils pu espérer meilleur hommage que toute cette agitation frénétique, ce doute et cette peur omniprésente ? Les journalistes de Charlie Hebdo auraient pu nous léguer, bien malgré eux, un pire héritage ?

Les hommes politiques, Valls en tête, rajoutent encore et toujours à la confusion et la peur, dans une surenchère absolument irresponsable : Valls aux adolescents : «Habituez-vous à vivre avec le terrorisme». S'il existe un délit "d'apologie du terrorisme", n'y a t'il pas aussi de délit d'apologie de la terreur ? C'est servir le terrorisme que de diffuser ainsi la peur. Il est totalement indigne de s'en servir à des fins politiciennes.

Chercher les causes

À l'heure ou l'État rappelle le peuple Français à lui, dans un élan d'union nationale, il est utile de se rappeler à quel point, dans une république parlementaire non-démocratique (au sens grec du terme), les intérêts de l'État divergent de celui du peuple; Cette vérité est autant plus frappante pour notre 5ème république, véritable monarchie présidentielle.

Pour s'en convaincre, on peut se risquer à dresser une liste partielle des causes profondes des actes terroristes que l'on cherche ici à combattre, en tentant d'identifier leur liens avec le pouvoir en place :

  • Sentiment anti-occidental dans le monde arabe
  • Terrain propice : Misère sociale / Chômage de masse :
    • Perte de souveraineté monétaire et fiscale au sein de EU => Dette illégitime
    • Règne des politiques néo-libérales destructrices d'emploi
    • Lutte de la BCE contre l'inflation (==> chômage)
    • Austérité
    • Manque de régulation de la finance
  • Sentiment d'exclusion des français issu de l'immigration; racisme :
    • Populisme des partis, désignation de l'immigré comme source des problèmes : électoralisme
    • Exploitation des questions sociétales clivantes comme écran de fumée, pour lancer des débats stériles et cacher les mauvais résultats, étouffer les scandales.
    • Instrumentalisation de la peur de l'Islam / de la différence pour justifier des dérives sécuritaires
    • Ghettoïsation de populations pour satisfaire un électorat riche / conservateur
    • Colère mal dirigée : méconnaissance par le plus grand nombre des causes de nos problèmes : manque de médias indépendants

Nous subissons de manière directe ou indirecte des politiques iniques que nous ne choisissons pas, qui plongent la France dans un état de guerre permanente contre des états qui ne nous menacent pas et qui conduisent en interne à une guerre civile froide.

L'État, ennemi de la nation

Et la réponse à cette menace serait une "union nationale" derrière un gouvernement responsable d'une grande partie de ces mêmes problèmes ?

Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes.
Jacques-Bénigne Bossuet

Si nous avons besoin d'une unité nationale, c'est contre notre principal ennemi intérieur : L'État

L'État, et la classe politique qui le constituent, ont abandonné depuis bien longtemps la recherche du bien commun; ils bradent notre souveraineté au profit de leurs propres d’intérêts, d’intérêts privés, ou d’intérêts extérieurs (EU, OTAN, USA, ...).

On peut lire dans ces crises économiques, ces guerres et ces accès de haine, l'expression de la violence d'un système qui ne tourne plus rond; qui ne profite qu'à une minorité, qui oeuvre contre les peuples et les oppose.

De la liberté d'expression à l'indépendance de l'expression

Pour sortir de ce système, la démocratie reste à inventer. Parmi les pierres nécessaires à cet édifice, et pour boucler sur Charlie, nous pourrions aller au delà de la liberté d'expression et exiger l'indépendance de l'expression.

Les principaux médias ou organes de presses dépendent aujourd'hui très largement des aides du gouvernement, des annonceurs ou mêmes de groupes financiers et industriels qui les détiennent. les lignes éditoriales et l'auto censure qui en découlent ne nous permettent pas d'espérer une information indépendante et variée.

En décembre 2014, le Monde Diplomatique a justement fait une proposition concrète pour un financement indépendant et transparent de la presse française.

Le meilleur hommage à faire aux victimes de Charlie Hebdo serait de diffuser et d'appuyer cette proposition.

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