Que feriez vous si votre revenu ne dépendait pas de votre emploi ?
Votre activité professionnelle - pour laquelle vous occupez l'essentiel de votre temps éveillé - est elle intéressante et / ou utile à la société ?
Correspond-elle à vos valeurs fondamentales ?
Vous sentez-vous utile ?
Bullshit jobs & angle alpha : Qu’est ce je fous là ?
David Graeber a théorisé les « bullshit jobs » : des emplois « à la con » qui, par la futilité de la tâche ou de leur finalité, laissent aux employés le sentiment vertigineux de l’inutilité.
Frédéric Lordon, théorise lui « l’angle alpha », : L’angle Alpha mesure la résistance d’un travailleur aux aspirations de son patron, ou la différence entre son conatus propre (au sens de Spinoza : la direction de notre puissance d’agir, nos aspirations) et celui de son employeur (ses objectifs).
Il y a 3 ans, j’ai pris conscience de mon angle alpha au cours d’une réunion de travail : J’observais, pantois, mes collègues en train disserter sur la position idéale d’un menu dans une application de marketing. Ils semblaient sincèrement passionnés par leur tâche et argumentaient ardemment, comme si leur vie en dépendait.
Je me sentais extérieur à tout ça : «Qu’est ce que je fous là ?». J’avais envie de me lever et de les interpeller : « Honnêtement, vous en avez quelque chose à foutre de tout ça ? Venez on sort. On va prendre une bière.».
Cet épisode a débouché pour moi sur une année sabbatique « militante» suivie d’un changement de domaine.
De « bullshit jobs » à « bullshit economy »
Ces préoccupations modernes de "recherche de sens" prennent une importance toute particulière au regard des crises majeures qui nous frappent aujourd'hui : effondrement du vivant, crise climatique, instabilité financière, épuisement des ressources, explosion des inégalités,crise sociale & politique, déficit démocratique.
Il ne s’agit plus seulement de se sentir utile dans son job, mais de se sentir utile dans un job qui répond en partie à ces enjeux. La société de consommation produit en permanence de nouveaux besoins et emploie des armées de travailleurs dans quantités de domaines parfaitement inutiles, voire néfastes, bien que économiquement pertinents :
- Énergies fossiles
- Finance, trading haute fréquence
- Cosmétiques
- Grands projet inutiles
- Tourisme de masse
- Gadgets hi-tech, 5G
- Fast-fashion
- Marketing, influenceurs
- ...
On peut même observer une corrélation négative entre l’utilité sociale de certains métiers et de leur rémunération : infirmière, agriculteur, aide à la personne _VS _trader, footballeur, ...
Déserter le futile ...
Face à ces crises grandissantes, les blocs géopolitiques se cabrent et s'affrontent, militairement et économiquement, via l'hypertrophie de leurs systèmes thermo-industriels respectifs, dans une course effrénée à la croissance.
- Mais pour quoi faire ? "Peu importe, tant que ça crée de l'emploi".
- Est-ce pérenne ? "Peu importe tant que ça fait du PIB."
Comme hier les appelés se faisaient objecteurs de conscience, il me parait nécessaire de plaider aujourd'hui pour une désertion massive d'un système économique sans objet qui détruit le vivant et aliène la société pour la production en chaîne du futile.
Détruisons au passage les mythes fondateurs de cette folie : la compétition, la peur des étrangers, le libéralisme fanatique :
- « les chinois vont nous bouffer »
- « nous sommes la cinquième puissance du monde »
- « La main invisible du marché gère les choses au mieux »
Il est urgent de déconstruire toutes ces foutaises et d'ignorer ces injonctions.
Pour investir l’essentiel
Il est temps de revenir aux fondamentaux, de faire taire le marketing promoteur de notre insatisfaction perpétuelle, et de repartir de nos besoins élémentaires, à la base de la pyramide de Maslow :
- L'agro-écologie : pour se nourrir
- La rénovation, l'isolation, l'éco-construction : pour se loger
- La médecine, le social : pour se soigner
- L'art et la culture : pour se divertir et faire société
- …
Cette liste n’est pas exhaustive. Se poser quelques questions est déjà grandement salutaire :
- « De quoi ma communauté a t’elle besoin ? »
- « Quelles sont mes compétences ? »
- « De quoi ai-je envie ? »
- « Où puis-je être le plus utile ? »
A cet égard, les jeunes générations sont sans doute plus aguerries que leur aînées. Les boomers cherchent désespérément comment « manager » la génération Y. La génération ne se « manage » pas : elle présente un angle alpha quasi-orthogonal et ne troque sa quête de sens contre aucun salaire confortable ni voiture de fonction.
D’un point de vue purement égoïste, investir ces domaines est également un moyen pérenne de résister à un éventuel effondrement du système économique : en cas de contraction des ressources, les filières les plus futiles seront les premiers à tomber.
Le rôle des CSP+ ... entre autres
On énonce souvent cette injonction de « consommation consciente » pour transformer le monde :
"Et dire qui suffirait que personne ne l'achète pour que ça ne se vende pas" Coluche
Elle me semble insuffisante, se situe trop en aval et fait l’impasse sur la dimension politique et sociale de la consommation. On peut lui adjoindre cette proposition, qui se situe un cran plus haut dans la chaîne économique :
"Et dire qu'il suffirait que personne ne le produise pour que ça ne se vende pas"
Ceux d'entre nous qui ont la chance de pouvoir choisir leur emploi (situation familiale, épargne, marché de l’emploi) portent à mon sens une responsabilité particulière dans la transformation de la société.
Il s'agit pour l'essentiel des cadres supérieurs, mais pas seulement. J'ai dans mes proches quelques exemples de désertions réussies :
- Un menuisier qui a déserté le montage de dressings pour millionnaires et l'agencement de banques au profit de la construction bois-paille et de la conception d'habitat léger.
- Un docteur en thermique du bâtiment qui a préféré installer des PACs plutôt que de disserter dessus, puis qui s'est formé au métier de paysan boulanger
- Son collègue qui s'est installé en Haute-Loire pour faire du miel et construire sa maison avec les matériaux de son terrain
- Un expert qualité chez VEOLIA qui est aujourd'hui maraîcher bio sur sa micro-ferme
Ces conversions nécessitent principalement une révolution mentale : s'émanciper des clichés qui valorisent davantage le travail intellectuel, accepter de gagner moins d'argent, renoncer à son statut (ingénieur, cadre), assumer à son pot de départ de prendre un congé sabbatique sans autre projet que de faire autre chose, etc
Le travail le plus écolo ? Ne rien faire
Le développement durable n'existe pas : les flux économiques sont intrinsèquement couplés aux impacts environnementaux. Partant de là, une démarche écologique consiste essentiellement à réduire ses dépenses et ses revenus en participant au strict minimum au PIB mondial.
De tous les choix de carrière, le plus sage est donc souvent de ne rien faire du tout : Prendre régulièrement des années sabbatiques, passer au temps partiel sont des moyens efficaces de :
- Lutter contre le chômage en partageant le travail
- S'offrir du temps libre, pour œuvrer bénévolement à l'amélioration de la société (ou simplement prendre du bon temps)
- Réduire son impact écologique
- Désengorger les routes
Et vous ? Êtes vous prêts à déserter ?
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Commentaires
Écrit le Fri, 29 May 2020 21:50:33 par N